La ferme Les Bonnes Herbes de Kerlaoudet ouvre son jardin
Reportage réalisé en septembre 2022
Janvier 2023 (Texte: Anne Weldon / Photos: Régis Bradol)
Isabelle et Loïc produisent des plantes aromatiques et médicinales dans le Finistère Nord. Leur ferme Les Bonnes Herbes de Kerlaoudet est adhérente au syndicat SIMPLES qui fête ses 40 ans cette année. À cette occasion, le couple cultivateur ouvre ses portes pour nous dévoiler leur jardin et nous faire découvrir un savoir-faire ancestral en herboristerie ainsi que la traction animale.
La production de plantes aromatiques et médicinales dans le Finistère Nord.
Les abeilles convoitent les fleurs ravissantes des Bonnes Herbes de Kerlaoudet, tout comme les cueilleurs. La récolte demande d’être consciencieux pour préserver la grâce des plantes et elle le devient davantage par la présence de butineurs. Le geste précieux se prolonge dans le séchoir où l’on dépose la cueillette belle et parfumée sur les claies. C’est avec des doigts de fée que l’on manipule les feuilles et les pétales séchés, légers et fragiles afin de les conditionner. À la ferme, tout se fait à la main, avec grande délicatesse.
Cela fait quatorze ans que le couple Isabelle Chaillou et Loïc Le Polles est installé à Guiclan, au lieu-dit Kerlaoudet, entre Morlaix et Landivisiau sur le plateau du Léon, réputé pour ses terres fertiles où l’on travaillait autrefois avec le cheval breton. Ils y cultivent des plantes aromatiques et médicinales, dites PAM, qui s’épanouissent en plein air. Ici ne poussent que les variétés qui s’y plaisent et elles sont nombreuses : une cinquantaine. Des plantes épanouies sont généreuses en arômes. Cela tombe bien, Isabelle et Loïc recherchent l’authenticité et l’harmonie avec la nature. Par exemple, le thym serpolet apprécie l’endroit tandis que le thym vulgaris n’aime pas l’humidité. Ainsi, le thym serpolet est privilégié.
Si au siècle dernier le tracteur a détrôné le cheval de l’agriculture, une jument est venue supplanter le tracteur de Loïc. Une jument de trait bretonne. Cela va de soi dans le pays de Landivisiau, une des villes emblématiques du cheval breton ! Et pour Loïc : « La traction animale est une énergie gratuite, qui est belle, esthétique ! » Aussi amusant soit-il, la belle alezane au crin lavé âgée de onze ans se nomme Bretagne.
Son Renault 551 a contribué aux premières années de l’activité, mais rien n’avait plus de sens que de travailler avec un cheval. Au départ, Isabelle et Loïc n’avaient pas de connaissances sur cet animal imposant. Leur entourage pensait qu’ils étaient fous de vouloir un gros cheval parmi les petites fleurs délicates. Si aujourd’hui Bretagne connaît parfaitement son travail, répond à la voix, marque l’arrêt, respecte les plantes, les premiers temps nécessitaient quelques ajustements. Débuter la traction animale avec une jeune jument était hasardeux. Mais avec de la détermination, Loïc et Bretagne ont fini par faire connaissance, se comprendre et arriver à un travail fluide : le cultivateur œuvre avec une jument, robuste de 800 kilogrammes, pour autant douce et attentive, entre les rangées de plantes toutes frêles, toutes légères, d’à peine quelques grammes.
Une jument bien appropriée à la ferme
Dans le cas de la ferme de Loïc et Isabelle, Bretagne est une collaboratrice précieuse. Un binage vaut deux arrosages, dit le dicton, et ici, le désherbage entre les rangs est plus avantageux avec la jument pour trois raisons bien flagrantes.
La première, le réglage de la largeur des rangs sur la bineuse en traction animale est immédiat, alors qu’avec le tracteur, il fallait utiliser des outils. Le Renault était adapté pour la production de légumes dont les espaces entre les rangs sont identiques. Tandis que les PAM peuvent s’étaler en rampant ou prendre de la hauteur, les passages sont donc plus ou moins larges selon les variétés. Il était donc laborieux d’ajuster l’outil du tracteur à chaque changement de largeur de rang, alors que celui tracté par le cheval se règle simplement à l’aide d’une manette.
La deuxième, il est bien connu que le tracteur, qui vibre, tasse plus le sol que le cheval. Par le binage régulier avec Bretagne, deux à trois fois par semaine, pour désherber les rangs et laisser les PAM prospérer, le sol est plus aéré. Ainsi, les racines des plantes se développent plus en profondeur, absorbent mieux les nutriments et l’eau, ce qui là aussi renforce les arômes. De plus, avec un pas placide et posé entre les PAM, le binage est plus précis.
Enfin, il va sans dire que les conditions de travail ne peuvent être qu’appréciables. La relation homme-cheval élève le moral. Cela se voit dans leurs yeux, ceux d’Isabelle, de Loïc et de Quentin, leur salarié. Bretagne apprécie également leur compagnie parce qu’elle est choyée. Notons tout de même la floraison des sens ! La vue du jardin avec des fleurs magnifiques : bleuet, hysope, lavande, mauve, monarde, camomille, calendula, tanaisie… ; Bretagne entre les rangs frôlant les plantes qui exhalent leur parfum intense, un bouquet d’arômes agréable, sous le son étouffé des sabots sur la terre et celui de l’outil qui ouvre le sol…
Un syndicat pour la production de PAM biologique : S.I.M.P.L.E.S
Le mot « simple » possède plusieurs sens. Moins usité de nos jours, le simple est une herbe médicinale. L’adjectif ou le nom signifie aussi agir selon ses sentiments, une honnêteté naturelle et spontanée, loin de la vanité, sans fioriture. Simple comme Isabelle, Loïc et Quentin. Simple comme les personnes qui se sont rassemblées pour créer en 1982 un syndicat : S.I.M.P.L.E.S, acronyme de Syndicat Inter-Massifs pour la Production et L’Économie des Simples. L’objectif est de distinguer les cultivateurs répondant à un cahier des charges spécifique aux PAM plus exigeant que le label bio.
SIMPLES se mobilise aussi pour préserver un savoir-faire ancestral et faire reconnaître à nouveau le paysan-herboriste. En effet, le régime de Vichy a supprimé la délivrance de ce diplôme en 1941 en faveur de l’exclusivité de la pratique par les pharmaciens. Le métier s’est éteint en silence par la disparition peu à peu des herboristes qui pouvaient continuer à exercer leur profession.
SIMPLES aide les adhérents à faire face à des normes européennes qui pèsent lourd sur les petits producteurs, telle que la vigilance aux allégations qui relèvent de la médecine, même si les propriétés des plantes sont bien connues de nos grand-mères.
La fête des SIMPLES chez Isabelle et Loïc : une mise en avant de l’énergie animale
Le syndicat SIMPLES célèbre ses 40 ans : 40 ans pour Préserver, Résister, Transmettre. Ce sont 20 fêtes réparties sur toute la France ce 25 septembre, dont la ferme Les Bonnes Herbes de Kerlaoudet. L’intention est de faire découvrir au grand public le métier de cultivateur de PAM grâce à des visites du jardin et du séchoir, à des balades botaniques et à des présentations des usages des plantes.
La singularité de la fête chez Isabelle et Loïc est la mise en valeur de la traction animale, notamment par des démonstrations et par l’invitation de Jean-Louis Cannelle, fondateur du Centre Européen de Ressources et de Recherches en Traction Animale (CERRTA), pour animer une conférence sur Y a-t-il un avenir pour la traction animale dans les fermes paysannes ? Ainsi Loïc ouvre la conférence : « l’objectif est de démontrer que la traction animale a de l’avenir. Cette énergie animale utilisée depuis longtemps permet de faire pousser des légumes et ici des plantes d’une manière durable et écologique. »
« La devise des 40 ans des SIMPLES est Préserver, Résister, Transmettre. Il en est de même avec le cheval », souligne Jean-Louis Cannelle. « Préserver un savoir-faire. Pour cela, il faut résister. Et pour que cela continue, il faut transmettre. Les formations sont alors essentielles pour éviter les erreurs. » Jean-Louis invite à ouvrir les yeux, à se positionner en citoyen du monde en résistant et en agissant.
Dans un contexte où la mondialisation est indéniablement là, omniprésente, où un quart de l’humanité a consommé l’énergie fossile facilement exploitable, quelles réponses apporter face à l’épuisement des ressources ? Bien que le tracteur ait amélioré les conditions humaines et industrielles, qu’en sera-t-il de l’avenir ?
« L’énergie animale est une solution parmi tant d’autres. » La traction animale avancera grâce à une entraide collective et à un bon cheval en confiance. Un harnachement adapté ainsi qu’un outil réglé et réglable qui a été préalablement essayé sur sa propre terre pendant une journée avant d’être acheté sont les conditions essentielles. « C’est la vulgarisation qui va nourrir le monde et non pas l’agrochimie », conclut Jean-Louis.
1 300 personnes ont honoré la fête et visité la ferme ! C’est un beau chiffre qui révèle un intérêt certain à l’égard des PAM, de leur culture à leur transformation.
À l’instar du tracteur qui a destitué les chevaux des champs, les médicaments issus de la pétrochimie ont remplacé les plantes des ordonnances. Deux évolutions modernes. Pourtant, les chevaux et les plantes ont accompagné l’Homme durant des millénaires. Une modernité qui fait table rase du passé. Un passé qui ne manque pourtant pas de solutions aux défis à venir. Ne revient-il pas alors à chacun de décider de mener une vie plus naturelle, plus saine, plus simple ? C’est ce qu’ont choisi Isabelle et Loïc en produisant des PAM avec la traction animale et estampillées SIMPLES.